Une petite ballade "dans le noir", ça vous tente?

Alors il faut aller voir l'exposition Soulages à Beaubourg.

Je me souviens de mes premiers cours d'Histoire de l'Art en 2nde... on passait notre temps à dessiner sur les vieilles tables en bois, dans la salle de cours plongée dans la pénombre.
Notre professeur tentait de nous initier aux subtilités de l'art contemporain, à nous pauvres adolescents incultes.

Quelques noms sont restés, et je bénis aujourd'hui cette prof.

L'avantage d'aller au musée, c'est qu'on voit les oeuvres "en grand" (et pas en reproduction diapo toute pourrie).
Avec Soulages c'est essentiel. Pour la taille d'abord (que des grands formats, en moyenne 2x3m) et pour la texture des oeuvres.

Comme d'habitude à Beaubourg, l'expo est assez complète, on en prend plein les mirettes.

« Dans ma peinture où le noir domine, depuis l'enfance jusqu'à maintenant, je distingue objectivement trois voies du noir, trois différents champs d'action : le noir sur fond, contraste plus actif que celui de toute autre couleur pour illuminer les clairs du fond ; Le noir associé à des couleurs, d'abord occultées par le noir, venant par endroits sourdre de la toile, exaltées par ce noir qui les entoure ; La texture du noir (avec ou sans directivité, dynamisant ou non la surface) : matière matrice de reflets changeants.»

*Le noir sur fond* : les oeuvres au brou de noix (qu'on peut interprêter de différentes façons, moi ça m'évoque la calligraphie, même si c'est un peu réducteur...) et le travail du noir sur la surface de la toile (pour mieux faire "rayonner" les minces filets de blanc).

Déjà, on s'en prend plein la tronche, quelle énergie dans ces contrastes et ces grands formats...
Le geste ne décrit pas un mouvement, il devient partie intégrante de la composition, dans un subtil équilibre : «On est toujours guetté par deux choses aussi dangereuses l'une que l'autre : l'ordre et le désordre».
C'est un peu ce que l'on ressent, plantés devant ces toiles, à la fois une grande austérité/ intériorité, et une force vitale folle.

*Des recherches autour de la couleur*, avec des jeux de transparence, à travers le noir, plus ou moins frotté, opaque.
La lumière nait doucement, diffuse, comme à travers un vitrail.

Peu à peu, le noir envahit complètement la toile, on se perd dedans.

C'est la naissance de l'*Outrenoir* ("au-delà du noir") : un nouvel espace est né.
Du noir naît la lumière.
Grâce aux effets de brillance produits par les reliefs de l'huile et de l'acrylique, on peut bouger devant ses toiles pour les admirer sous différents angles (comme une sculpture).

Dans ses oeuvres plus tardives, on dirait que Soulages peigne la matière plus qu'il ne la peint.
La couche de peinture est très épaisse, c'est très voluptueux et sensuel.

On se pose souvent la question des outils aussi. Apparemment il utilise un peu tout ce qui lui tombe sous la main : semelles de cuir, pinceaux-brosse, planches de bois... un artiste-bricoleur en fait.

A voir au Centre Pompidou jusqu'au 8 mars 2010.