"Mais ensuite, la musique devint trop forte pour bavarder, et Tucker commença à se sentir déprimé. Il avait redouté cette attaque de déprime. C'était la seule vraie raison pour laquelle il avait rechigné à venir dans ce bar. Il avait consacré beaucoup de temps à ne rien faire, mais l'astuce, quand on ne fait rien, en ce qui le concernait du moins, c'était de ne penser à rien pendant ce temps. Le problème, avec un concert, si on n'était pas emporté par une vague d'enthousiasme viscéral ou intellectuel, c'est qu'il n'y avait pas grand chose à faire, sinon penser; et Tucker sentait bien que The Chris Jones Band, en dépit de leurs efforts transpirants, ne seraient jamais capables de faire oublier aux gens qui ils étaient, et comment ils l'étaient devenus. La musique médiocre et assourdissante vous parquait en vous-même, elle vous incitait à arpenter votre esprit, jusqu'à vous donner une vision assez précise de la façon dont tout cela pourrait finalement se terminer pour vous. Dans les soixante-quinze minutes qu'il passa en sa propre compagnie, Tucker se débrouilla pour revisiter à peu près tous les lieux qu'il aurait été heureux de ne jamais revoir. Il remonta, à partir de Cat et Jackson, à tous les autres couples qu'il avait fait foirer, tous les gamins qu'il avait bousillés. La friche professionnelle des vingt dernières années bordait ces jalons, comme une voie de chemin de fer rouillée longe un bouchon de bagnoles. Les gens sous-estimaient la vitesse de la pensée. Il était possible de couvrir absolument tous les incidents majeurs d'une vie pendant le set moyen d'un groupe se produisant dans un bar."

Nick Hornby, Juliet, Naked